jeudi 15 janvier 2009

Top d'humains pour la planète ?

Le Monde 2 du 10 janvier publie sous ce titre une « grande enquête » où il annonce que les théories néomalthusiennes sont battues en brèche, pour conclure « Les politiques sont en cause. Pas le nombre d’habitants. »
Commençons par féliciter les auteurs d’avoir abordé ce sujet, certainement un des plus importants qui se posent à l’Humanité d’aujourd’hui.
Une chose paraît claire : Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l’environnement proviennent de la combinaison de deux facteurs, qui sont le nombre des habitants d’une part, et les comportements d’autre part, en comprenant sous ce dernier vocable les habitudes de consommation et les procédés de fabrication des biens consommés. Ce qui peut s’exprimer autrement : l’empreinte écologique d’une population donnée est égale au produit du nombre de cette population par l’empreinte écologique individuelle moyenne. Si l’on considère que la planète peut supporter un maximum d’empreinte écologique, on délimite le champ du possible. A l’intérieur de ce champ, l’on peut avoir une population d’autant plus nombreuse que l’empreinte individuelle est faible, et inversement, si les exigences en matière de genre de vie sont telles que l’empreinte écologique par tête est élevée, le nombre possible des habitants s’en trouve réduit d’autant. Si l’on considère par ailleurs que « les politiques » ont pour objet ou pour effet de déterminer l’empreinte écologique par tête, la conclusion rappelée plus haut apparaît erronée, puisque prise à la lettre elle semble dire que l’empreinte écologique totale est indépendante du nombre des habitants, faisant de l’empreinte écologique individuelle et donc des politiques qui la déterminent la seule variable à considérer pour savoir si une population vit conformément aux possibilités de la planète.
Je crois qu’il serait faux de déduire que l’on a ici affaire à un article bâclé. Je crois deviner au contraire que de puissantes raisons ont guidé les auteurs vers leur conclusion, et comme je partage ces raisons que je crois deviner, c’est ce point que je voudrais maintenant approfondir.
La conclusion se présente comme le résultat d’une analyse purement objective, mais elle ne prend du sens que si on la considère comme l’expression d’un impératif moral que les auteurs n’osent pas assumer en tant que tel. On pourrait l’exprimer ainsi : A moyen terme, la morale impose que l’on considère le nombre d’habitants comme une donnée, et les politiques doivent porter sur la seule variable d’ajustement moralement admissible, c’est-à-dire l’empreinte écologique individuelle moyenne.
Nous savons tous qu’au milieu du 20ème siècle a été développée une théorie qui appliquait aux groupes humain la théorie darwinienne de la sélection naturelle et qui, s’appuyant sur la notion d’espace vital, justifiait qu’une fraction de l’humanité entreprenne la destruction systématique d’une autre fraction, aux fins de conserver à la prétendue race supérieure l’espace nécessaire à son épanouissement. Nous savons aussi que, à la honte d’une génération d’Allemands, cette doctrine a connu un commencement d’exécution. Nous savons enfin que dans le même temps ou depuis, des entreprises de massacre d’êtres humains, systématique et à grande échelle, s’appuyant sur des justifications différentes, ont été réalisées en Union Soviétique, au Cambodge, en Afrique …
L’expression d’espace vital, du fait de ce qu’elle évoque, est aujourd’hui taboue. Mais le concept lui-même est très en vogue. L’empreinte écologique (qui s’exprime en hectares) d’un individu donné n’est pas autre chose en effet que « l’espace vital » de cet individu, la surface biologiquement productive nécessaire à la couverture de ses besoins, compte-tenu de son genre de vie. Or, l’article du Monde le relève, la terre aujourd’hui n’est pas assez grande pour fournir la surface correspondant à l’empreinte écologique de ses d’habitants, dont le nombre actuel dépasse légèrement 6,5 milliards. Si toutes autres choses restent égales, elle le sera encore moins quand le nombre desdits habitants se stabilisera, à horizon 2050-2100, aux environs de 10 milliards. Force est de convenir que dans ces conditions le risque de voir réapparaître une ou plusieurs entreprises génocidaires, faisant du nombre de la population la variable d’ajustement indispensable, ce risque ne peut pas être négligé. Une « certaine idée » de l’Humanité, l’impératif moral de respecter la Dignité de cette Humanité dans son ensemble et dans chacun de ses membres, s’y oppose cependant de façon absolue. C’est donc un impératif tout aussi absolu de mobiliser toutes les ressources de l’intelligence et de la solidarité humaines pour ramener l’empreinte écologique moyenne à un niveau compatible avec les possibilités de la planète et avec une population totale de l’ordre de 10 milliards d’individus. Car cette empreinte est la seule variable d’ajustement moralement admissible. Dans ce sens, on ne peut que souscrire à la conclusion : « Les politiques sont en cause. Pas le nombre d’habitants. »