Les phénomènes qu’il s’agit de réprimer sont liés à ce que Jean Peyrelevade a décrit sous le nom de « capitalisme dissocié », terme par lequel il désigne la séparation entre la direction et la propriété des entreprises. Certaines causes sont très anciennes : La structure juridique de la société anonyme où la responsabilité des actionnaires est limitée à leur mise, la division du capital de ces sociétés en titres négociables, et l’organisation de bourses d’échange de ces titres ; une autre est venue s’y ajouter récemment, c’est le développement considérable dans les dernières décennies des instruments de gestion collective de l’épargne. C’est lui qui a engendré la situation que nous connaissons aujourd’hui, où le pouvoir sur nombre de grandes entreprises est exercé, lors des assemblées d’actionnaires, par des gens qui ne gèrent pas leurs propres capitaux, mais agissent en tant qu’agents d’une masse d’épargnants anonymes. Répondant à l’attente de leurs mandants et aiguillonnés par la concurrence, ils recherchent dans une spéculation à court ou moyen terme un rendement de leur placement déraisonnablement élevé, impossible à assurer durablement. Ils ne connaissent que de l’extérieur les activités et le fonctionnement des entreprises qu’ils contrôlent, et leur pouvoir s’exerce essentiellement une fois par an dans les assemblées d’actionnaires ; il se limite en fait, mais c’est évidemment essentiel, à la nomination ou éventuellement à la révocation des dirigeants et mandataires sociaux. Or il est bien évident que la fonction de dirigeant d’une très grande entreprise ne peut être confiée qu’à des individus réunissant un capital d’expérience et de capacités assez exceptionnel. Le nombre de candidats possibles à un poste devenu ou rendu vacant n’est pas très élevé, et attirer le meilleur devient pour les gestionnaires de Fonds un enjeu d’une importance primordiale. Les rares candidats entre lesquels ils hésitent se trouvent ainsi vis-à-vis d’eux dans une position de négociation exceptionnellement favorable. D’où pour commencer des rémunérations de base élevées. En outre il y a entre ces dirigeants et ceux qui les nomment une asymétrie d’information et de compétence dont les derniers nommés sont très conscients. Ne pouvant pas réellement évaluer avec exactitude la pertinence des politiques suivies et des décisions prises, mais sachant très bien ce qu’ils attendent : la valorisation rapide de leur placement, ces derniers sont prêts à intéresser le candidat à cet objectif en lui attribuant un nombre considérable de « stocks-options », quitte à le révoquer brutalement s’il déçoit leur attente. De leur côté, les candidats pressentis sont conscients ou instruits par des expériences précédentes de l’existence de ce risque, aussi au moment de leur recrutement ils négocient et obtiennent, en plus du reste, ces fameux parachutes qui soulèvent à juste titre l’incompréhension et l’indignation générales. Il s’est ainsi créé au cours des dernières décennies une sorte de norme internationale qui définit les avantages auxquels les dirigeants de grandes entreprises peuvent prétendre. Comme cette population –réduite en nombre- est constitué de fortes personnalités généralement imbues d’elles-mêmes, ceux même qui ne sont pas guidés par la seule avidité croiraient déchoir s’ils n’obtenaient pas lors de leur recrutement le bouquet complet des avantages, si exorbitants soient-ils, qu’ils savent qu’ont obtenus leurs pareils.
Les mécanismes que nous venons de décrire entraînent deux conséquences ; la première concerne le problème des rémunérations abusives : si rien n’est fait pour modifier les conditions qui ont provoqué leur apparition, on peut craindre que les lois nationales destinées à y mettre fin ne soient aisément contournées. N’oublions pas que les grandes entreprises dont il s’agit sont, du fait de la mondialisation, présentes et actives dans un très grand nombre de pays. Sans chercher plus loin, il existe suffisamment d’Etats de par le monde où le secret bancaire n’est pas un vain mot pour que rémunérations abusives, stocks options et parachutes y soient aisément logés, et ceci dans la plus grande discrétion. Loin de moraliser la rémunération des dirigeants, on y aurait introduit un degré supplémentaire d’opacité et d’immoralité. La deuxième conséquence est encore plus grave : le fonctionnement du « capitalisme dissocié » tel que nous venons de l’analyser exerce sur la politique des entreprises une pression souvent contraire à ce que demanderait une bonne et saine gestion, conforme aux intérêts à long terme de la société humaine et de l’entreprise elle-même. La conscience qu’en ont les dirigeants est étouffée par les avantages énormes qui leur sont consentis, et le thème à la mode de « l’entreprise citoyenne » apparaît plus destiné à masquer que véritablement en mesure de corriger cet état de fait.
mercredi 15 avril 2009
jeudi 15 janvier 2009
Top d'humains pour la planète ?
Le Monde 2 du 10 janvier publie sous ce titre une « grande enquête » où il annonce que les théories néomalthusiennes sont battues en brèche, pour conclure « Les politiques sont en cause. Pas le nombre d’habitants. »
Commençons par féliciter les auteurs d’avoir abordé ce sujet, certainement un des plus importants qui se posent à l’Humanité d’aujourd’hui.
Une chose paraît claire : Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l’environnement proviennent de la combinaison de deux facteurs, qui sont le nombre des habitants d’une part, et les comportements d’autre part, en comprenant sous ce dernier vocable les habitudes de consommation et les procédés de fabrication des biens consommés. Ce qui peut s’exprimer autrement : l’empreinte écologique d’une population donnée est égale au produit du nombre de cette population par l’empreinte écologique individuelle moyenne. Si l’on considère que la planète peut supporter un maximum d’empreinte écologique, on délimite le champ du possible. A l’intérieur de ce champ, l’on peut avoir une population d’autant plus nombreuse que l’empreinte individuelle est faible, et inversement, si les exigences en matière de genre de vie sont telles que l’empreinte écologique par tête est élevée, le nombre possible des habitants s’en trouve réduit d’autant. Si l’on considère par ailleurs que « les politiques » ont pour objet ou pour effet de déterminer l’empreinte écologique par tête, la conclusion rappelée plus haut apparaît erronée, puisque prise à la lettre elle semble dire que l’empreinte écologique totale est indépendante du nombre des habitants, faisant de l’empreinte écologique individuelle et donc des politiques qui la déterminent la seule variable à considérer pour savoir si une population vit conformément aux possibilités de la planète.
Je crois qu’il serait faux de déduire que l’on a ici affaire à un article bâclé. Je crois deviner au contraire que de puissantes raisons ont guidé les auteurs vers leur conclusion, et comme je partage ces raisons que je crois deviner, c’est ce point que je voudrais maintenant approfondir.
La conclusion se présente comme le résultat d’une analyse purement objective, mais elle ne prend du sens que si on la considère comme l’expression d’un impératif moral que les auteurs n’osent pas assumer en tant que tel. On pourrait l’exprimer ainsi : A moyen terme, la morale impose que l’on considère le nombre d’habitants comme une donnée, et les politiques doivent porter sur la seule variable d’ajustement moralement admissible, c’est-à-dire l’empreinte écologique individuelle moyenne.
Nous savons tous qu’au milieu du 20ème siècle a été développée une théorie qui appliquait aux groupes humain la théorie darwinienne de la sélection naturelle et qui, s’appuyant sur la notion d’espace vital, justifiait qu’une fraction de l’humanité entreprenne la destruction systématique d’une autre fraction, aux fins de conserver à la prétendue race supérieure l’espace nécessaire à son épanouissement. Nous savons aussi que, à la honte d’une génération d’Allemands, cette doctrine a connu un commencement d’exécution. Nous savons enfin que dans le même temps ou depuis, des entreprises de massacre d’êtres humains, systématique et à grande échelle, s’appuyant sur des justifications différentes, ont été réalisées en Union Soviétique, au Cambodge, en Afrique …
L’expression d’espace vital, du fait de ce qu’elle évoque, est aujourd’hui taboue. Mais le concept lui-même est très en vogue. L’empreinte écologique (qui s’exprime en hectares) d’un individu donné n’est pas autre chose en effet que « l’espace vital » de cet individu, la surface biologiquement productive nécessaire à la couverture de ses besoins, compte-tenu de son genre de vie. Or, l’article du Monde le relève, la terre aujourd’hui n’est pas assez grande pour fournir la surface correspondant à l’empreinte écologique de ses d’habitants, dont le nombre actuel dépasse légèrement 6,5 milliards. Si toutes autres choses restent égales, elle le sera encore moins quand le nombre desdits habitants se stabilisera, à horizon 2050-2100, aux environs de 10 milliards. Force est de convenir que dans ces conditions le risque de voir réapparaître une ou plusieurs entreprises génocidaires, faisant du nombre de la population la variable d’ajustement indispensable, ce risque ne peut pas être négligé. Une « certaine idée » de l’Humanité, l’impératif moral de respecter la Dignité de cette Humanité dans son ensemble et dans chacun de ses membres, s’y oppose cependant de façon absolue. C’est donc un impératif tout aussi absolu de mobiliser toutes les ressources de l’intelligence et de la solidarité humaines pour ramener l’empreinte écologique moyenne à un niveau compatible avec les possibilités de la planète et avec une population totale de l’ordre de 10 milliards d’individus. Car cette empreinte est la seule variable d’ajustement moralement admissible. Dans ce sens, on ne peut que souscrire à la conclusion : « Les politiques sont en cause. Pas le nombre d’habitants. »
Commençons par féliciter les auteurs d’avoir abordé ce sujet, certainement un des plus importants qui se posent à l’Humanité d’aujourd’hui.
Une chose paraît claire : Les pressions exercées sur les ressources naturelles et l’environnement proviennent de la combinaison de deux facteurs, qui sont le nombre des habitants d’une part, et les comportements d’autre part, en comprenant sous ce dernier vocable les habitudes de consommation et les procédés de fabrication des biens consommés. Ce qui peut s’exprimer autrement : l’empreinte écologique d’une population donnée est égale au produit du nombre de cette population par l’empreinte écologique individuelle moyenne. Si l’on considère que la planète peut supporter un maximum d’empreinte écologique, on délimite le champ du possible. A l’intérieur de ce champ, l’on peut avoir une population d’autant plus nombreuse que l’empreinte individuelle est faible, et inversement, si les exigences en matière de genre de vie sont telles que l’empreinte écologique par tête est élevée, le nombre possible des habitants s’en trouve réduit d’autant. Si l’on considère par ailleurs que « les politiques » ont pour objet ou pour effet de déterminer l’empreinte écologique par tête, la conclusion rappelée plus haut apparaît erronée, puisque prise à la lettre elle semble dire que l’empreinte écologique totale est indépendante du nombre des habitants, faisant de l’empreinte écologique individuelle et donc des politiques qui la déterminent la seule variable à considérer pour savoir si une population vit conformément aux possibilités de la planète.
Je crois qu’il serait faux de déduire que l’on a ici affaire à un article bâclé. Je crois deviner au contraire que de puissantes raisons ont guidé les auteurs vers leur conclusion, et comme je partage ces raisons que je crois deviner, c’est ce point que je voudrais maintenant approfondir.
La conclusion se présente comme le résultat d’une analyse purement objective, mais elle ne prend du sens que si on la considère comme l’expression d’un impératif moral que les auteurs n’osent pas assumer en tant que tel. On pourrait l’exprimer ainsi : A moyen terme, la morale impose que l’on considère le nombre d’habitants comme une donnée, et les politiques doivent porter sur la seule variable d’ajustement moralement admissible, c’est-à-dire l’empreinte écologique individuelle moyenne.
Nous savons tous qu’au milieu du 20ème siècle a été développée une théorie qui appliquait aux groupes humain la théorie darwinienne de la sélection naturelle et qui, s’appuyant sur la notion d’espace vital, justifiait qu’une fraction de l’humanité entreprenne la destruction systématique d’une autre fraction, aux fins de conserver à la prétendue race supérieure l’espace nécessaire à son épanouissement. Nous savons aussi que, à la honte d’une génération d’Allemands, cette doctrine a connu un commencement d’exécution. Nous savons enfin que dans le même temps ou depuis, des entreprises de massacre d’êtres humains, systématique et à grande échelle, s’appuyant sur des justifications différentes, ont été réalisées en Union Soviétique, au Cambodge, en Afrique …
L’expression d’espace vital, du fait de ce qu’elle évoque, est aujourd’hui taboue. Mais le concept lui-même est très en vogue. L’empreinte écologique (qui s’exprime en hectares) d’un individu donné n’est pas autre chose en effet que « l’espace vital » de cet individu, la surface biologiquement productive nécessaire à la couverture de ses besoins, compte-tenu de son genre de vie. Or, l’article du Monde le relève, la terre aujourd’hui n’est pas assez grande pour fournir la surface correspondant à l’empreinte écologique de ses d’habitants, dont le nombre actuel dépasse légèrement 6,5 milliards. Si toutes autres choses restent égales, elle le sera encore moins quand le nombre desdits habitants se stabilisera, à horizon 2050-2100, aux environs de 10 milliards. Force est de convenir que dans ces conditions le risque de voir réapparaître une ou plusieurs entreprises génocidaires, faisant du nombre de la population la variable d’ajustement indispensable, ce risque ne peut pas être négligé. Une « certaine idée » de l’Humanité, l’impératif moral de respecter la Dignité de cette Humanité dans son ensemble et dans chacun de ses membres, s’y oppose cependant de façon absolue. C’est donc un impératif tout aussi absolu de mobiliser toutes les ressources de l’intelligence et de la solidarité humaines pour ramener l’empreinte écologique moyenne à un niveau compatible avec les possibilités de la planète et avec une population totale de l’ordre de 10 milliards d’individus. Car cette empreinte est la seule variable d’ajustement moralement admissible. Dans ce sens, on ne peut que souscrire à la conclusion : « Les politiques sont en cause. Pas le nombre d’habitants. »
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