mercredi 15 avril 2009

La lutte contre les rémunérations excessive des dirigeants de grandes entreprises: une affaire mal engagée

Les phénomènes qu’il s’agit de réprimer sont liés à ce que Jean Peyrelevade a décrit sous le nom de « capitalisme dissocié », terme par lequel il désigne la séparation entre la direction et la propriété des entreprises. Certaines causes sont très anciennes : La structure juridique de la société anonyme où la responsabilité des actionnaires est limitée à leur mise, la division du capital de ces sociétés en titres négociables, et l’organisation de bourses d’échange de ces titres ; une autre est venue s’y ajouter récemment, c’est le développement considérable dans les dernières décennies des instruments de gestion collective de l’épargne. C’est lui qui a engendré la situation que nous connaissons aujourd’hui, où le pouvoir sur nombre de grandes entreprises est exercé, lors des assemblées d’actionnaires, par des gens qui ne gèrent pas leurs propres capitaux, mais agissent en tant qu’agents d’une masse d’épargnants anonymes. Répondant à l’attente de leurs mandants et aiguillonnés par la concurrence, ils recherchent dans une spéculation à court ou moyen terme un rendement de leur placement déraisonnablement élevé, impossible à assurer durablement. Ils ne connaissent que de l’extérieur les activités et le fonctionnement des entreprises qu’ils contrôlent, et leur pouvoir s’exerce essentiellement une fois par an dans les assemblées d’actionnaires ; il se limite en fait, mais c’est évidemment essentiel, à la nomination ou éventuellement à la révocation des dirigeants et mandataires sociaux. Or il est bien évident que la fonction de dirigeant d’une très grande entreprise ne peut être confiée qu’à des individus réunissant un capital d’expérience et de capacités assez exceptionnel. Le nombre de candidats possibles à un poste devenu ou rendu vacant n’est pas très élevé, et attirer le meilleur devient pour les gestionnaires de Fonds un enjeu d’une importance primordiale. Les rares candidats entre lesquels ils hésitent se trouvent ainsi vis-à-vis d’eux dans une position de négociation exceptionnellement favorable. D’où pour commencer des rémunérations de base élevées. En outre il y a entre ces dirigeants et ceux qui les nomment une asymétrie d’information et de compétence dont les derniers nommés sont très conscients. Ne pouvant pas réellement évaluer avec exactitude la pertinence des politiques suivies et des décisions prises, mais sachant très bien ce qu’ils attendent : la valorisation rapide de leur placement, ces derniers sont prêts à intéresser le candidat à cet objectif en lui attribuant un nombre considérable de « stocks-options », quitte à le révoquer brutalement s’il déçoit leur attente. De leur côté, les candidats pressentis sont conscients ou instruits par des expériences précédentes de l’existence de ce risque, aussi au moment de leur recrutement ils négocient et obtiennent, en plus du reste, ces fameux parachutes qui soulèvent à juste titre l’incompréhension et l’indignation générales. Il s’est ainsi créé au cours des dernières décennies une sorte de norme internationale qui définit les avantages auxquels les dirigeants de grandes entreprises peuvent prétendre. Comme cette population –réduite en nombre- est constitué de fortes personnalités généralement imbues d’elles-mêmes, ceux même qui ne sont pas guidés par la seule avidité croiraient déchoir s’ils n’obtenaient pas lors de leur recrutement le bouquet complet des avantages, si exorbitants soient-ils, qu’ils savent qu’ont obtenus leurs pareils.
Les mécanismes que nous venons de décrire entraînent deux conséquences ; la première concerne le problème des rémunérations abusives : si rien n’est fait pour modifier les conditions qui ont provoqué leur apparition, on peut craindre que les lois nationales destinées à y mettre fin ne soient aisément contournées. N’oublions pas que les grandes entreprises dont il s’agit sont, du fait de la mondialisation, présentes et actives dans un très grand nombre de pays. Sans chercher plus loin, il existe suffisamment d’Etats de par le monde où le secret bancaire n’est pas un vain mot pour que rémunérations abusives, stocks options et parachutes y soient aisément logés, et ceci dans la plus grande discrétion. Loin de moraliser la rémunération des dirigeants, on y aurait introduit un degré supplémentaire d’opacité et d’immoralité. La deuxième conséquence est encore plus grave : le fonctionnement du « capitalisme dissocié » tel que nous venons de l’analyser exerce sur la politique des entreprises une pression souvent contraire à ce que demanderait une bonne et saine gestion, conforme aux intérêts à long terme de la société humaine et de l’entreprise elle-même. La conscience qu’en ont les dirigeants est étouffée par les avantages énormes qui leur sont consentis, et le thème à la mode de « l’entreprise citoyenne » apparaît plus destiné à masquer que véritablement en mesure de corriger cet état de fait.

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